Quel avenir pour une maison d’édition de poésie ?


Éditorial / mercredi, septembre 9th, 2020

La question aura été posée depuis des décennies. Elle conserve toute sa pertinence. Mais à une condition. Que nous prenions en considération l’époque et les événements qui la traverse.

Les répercussions et les contrecoups liés à l’épidémie virale auront affecté tous les domaines de la vie humaine sur terre, et modifié de manière significative les habitudes les plus quotidiennes comme nos manières de penser et de se projeter dans l’avenir.

En ce qui concerne la chaîne du livre, nous avons eu l’occasion d’apprécier les réactions dans la presse écrite et parlée. Dans bien des cas, le désastre engendré par la pandémie mondialisée ne fait aucun doute. Et si certaines maisons d’édition se tirent bien d’affaire en raison souvent du monopole, ou quasi-monopole, qu’elles exercent dans le secteur, en particulier sur le contrôle les circuits de diffusion et de distribution jusqu’aux réseaux de libraires, pour ne pas parler du tout le domaine de la promotion médiatisée, la situation que les petites et moyennes éditions auront dû affronter, et nous ne sommes pas au bout de l’épreuve, aura mis en péril leur fragile équilibre. Elles n’ont pu afficher une certaine résistance grâce à la souplesse de leur structure et à l’économie de leur mode de fonctionnement.

Qu’est-ce à dire, sinon que ces petites et moyennes structures éditoriales reposent essentiellement sur un travail bénévole de la part de leurs principaux responsables et animateurs. Leur engagement permet de tenir le coup, tandis que les nouveaux confinements permettent d’envisager une remontée de la lecture dans nos espaces privés et donc une croissance des ventes de livres, qu’auront facilité les ventes en lignes et les livraisons à domicile.

Cependant, pour beaucoup de petites et moyenne maisons d’éditions qui ne sont pas reprises pas les grands réseaux et circuits dont bénéficient les maisons d’édition qui ont une réelle et décisive visibilité publique, la situation paraît moins favorable. Loin de vouloir incriminer les modes de fonctionnement de la diffusion et de la distribution, car ces structures sont essentielles pour que les livres qui sont publiés se retrouve sur les tables des libraires, il y a lieu de s’interroger sur le fait bien réel que les petites et moyennes maisons d’édition qui ne sont pas reprises par les réseaux de diffusion et de distribution se sont vues confinées, c‘est-à-dire coupées des moyens et relais pour promouvoir leurs livres.

Le plus souvent la promotion de ces livres est assurée par une activité parallèle qui demande des efforts et des moyens appropriés. Or les confinements auront coupé les plus fragiles ou les plus instables des soutiens et relais qu’elles entretenaient afin de faire connaître leurs publications.

Que peut-on conclure ? Ceci : que leur situation n’est pas toujours catastrophique, car leur autonomie et leur capacité de résilience sont bien réelles, en attendant que la tornade passe. Mais le manque à gagner est une réalité ; et les conséquences sur les plannings éditoriaux, tout autant, sans oublier les ruptures dans les circuits de diffusion et de distribution, circuits plus instables et plus fragiles que ceux des grands réseaux.

Ainsi cette situation va laisser des traces sans pour autant compromettre les convictions et les engagements personnels au sein de petites équipes dont la détermination demande bien plus pour être remise en cause. Dans le domaine de l’édition de la poésie, c’est sans doute ce qui se passe. Il s’agit moins ici d’une invitation à la lecture de poésie qui nous occupe en ce temps puisque cette question nous préoccupe en tout temps et de tout temps, de confinement comme de dé-confinement.

Dans les circonstances que nous vivons depuis des mois, situation qui se prolongera sans aucun doute encore un bon moment, la création poétique ne répond pas de la même manière que les autres domaines de la création littéraire, et nous pensons ici au roman et à l’essai, plus spécifiquement. La poésie ne participe jamais de l’esprit du divertissement si actif dans nos sociétés du spectaculaire intégré – comme pour atténuer l’ennui des confinés. Elle touche sans doute peu de lecteurs, mais il est possible qu’elle les touche plus profondément.

De tout temps, pourrait-on dire, la poésie aura été une création confinée qui ne se sera jamais distinguer par des engouements magistraux, et aujourd’hui, par des succès de librairie. Nous poursuivrons, quoi qu’il arrive, et le témoin passera de mains en mains, afin de maintenir cette volonté de faire vibrer dans un arrangement de mots une clarté qui nous arrache à notre sommeil, pour reprendre les mots du poète Lorand Gaspar.